Dans ma pratique, de nombreuses personnes rencontrées semblaient souffrir d’un nouveau type de Trouble alimentaire (TCA): L’orthoréxie.
Quelques pistes de réflexion …
« L’orthorexie est un ensemble de pratiques alimentaires visant à ne consommer que des aliments sains et purs entraînant des exclusions alimentaires progressives et croissantes dans le régime alimentaire de celui qui en souffre. L’attrait initial pour une alimentation saine devient une obsession doublée d’une méfiance générale envers tout ce qui ne serait pas conforme au régime adopté. L’orthorexie créé une anxiété constante, une souffrance pour l’entourage et le patient, voire de l’isolement social et de la malnutrition. »
A titre d’illustration je propose le schéma récapitulatif ci-après inspiré des réflexion de la journaliste Sabrina Debusquat [1]

Je suis cependant sensible aux zones de recoupements qui existent entre l’orthorexie, les phobies, les TOC et l’anorexie (cf. graphique ci-dessous) et pense que le thérapeute ne devra en aucun cas tirer des conclusions hâtives face à un patient ayant adopté un régime très restrictif et limiter son action à la guérison d’un TCA. L’orthorexie pourrait parfaitement n’être que le symptôme ou la partie visible d’une autre pathologie, le cas échéant.
Le schéma montre les zones de recoupement entre anorexie, orthorexie et TOC.

Perfectionnisme, rigidité cognitive, fonctionnement altéré, anxiété, jugement général impacté y sont des « symptômes » commun et un bon faisceau d’indices pour un thérapeute. Mais en aucun cas ne sont-ils suffisants pour décider de l’approche à adopter en thérapie.
En effet si l’orthoréxique est obsédé par sa santé en permanence, pratique des exclusions alimentaires ou des rituels pour apaiser son anxiété et ressent de la culpabilité lorsqu’il déroge à son régime/rituel, cela vaut pour l’anorexique et la personne atteinte de TOC si ces TOC se portent sur l’alimentation (lavage, comptage etc.). A ce titre il sera parfois difficile de démêler en une séance le TOC de l’orthorexie… ou l’anorexie de l’orthorexie.
A l’attaque d’un sujet peu documenté et outre mes lectures et recherches Internet, j’ai pris contact avec plusieurs personnes pour m’aider dans mes recherches.
Une diététicienne, un psychiatre, un médecin, une journaliste santé et une sociologue m’ont éclairée de leur point de vue.
J’ai également recueilli le témoignage de plusieurs patients ayant adopté des régimes « restrictifs » et élaboré des grandes catégories d’anoréxiques.
Leurs réponses m’ont permis d’établir des « sous-profils » me permettant d’imaginer différentes approches et séances « sur mesure ».
Patient A : l’accro aux réseaux sociaux
Avec l’accro aux réseaux sociaux, l’adoption d’un régime restrictif est révélatrice d’une suggestibilité aux injonctions et d’une addiction à l’idée d’être dans le bon « mouvement », et l’orthorexie ressemble plus, à un artefact médiatique en premier lieu. Le besoin de relayer sur les réseaux sociaux une image parfaite de soi, peut engendrer des changements de comportements radicaux ceci étant dit et laisser la place à un vrai trouble. L’Institut Danone[2] met en garde contre les phénomènes et modes alimentaires tendances relayés sur les réseaux sociaux et très prisés par les adolescents pouvant déboucher sur des troubles du comportement alimentaire (TCA, orthorexie). « La perception symbolique des aliments qui participe à la construction identitaire de l’adolescent va être forcement influencée par les réseaux sociaux, comme pour sa tenue vestimentaire etc. il va s’identifier à la tendance et adopter les codes du moment, afin de faire partie du groupe ». Il faut aussi apprendre aux adolescents à se méfier de la vitrine proposée par les blogs et sites qu’ils suivent, pas toujours honnêtes.
Dans cette mouvance, mon témoin A présentait tous les symptômes de l’orthorexie à la lecture de son compte Instagram. Bols de légumes crus, photos de corps torturés par le sport, injonctions santé en tout genre… Lors de notre entretien elle m’indique ne pas appliquer forcément ses propres conseils en matière d’alimentation, dans la « vraie vie » et craquer pour du McDo et des pizzas. Pas d’orthorexie ici, mais la nécessité de se conformer à des injonctions communautaires pour être acceptée et faire partie du groupe.
Mon témoin A semblait très attachée à son image physique mais aussi à l’image « fabriquée » qu’elle s’est créée pour les réseaux sociaux.
Témoin B : profil hypochondriaque et nosophobique
La peur constante et obsessive de la maladie, que l’on pourrait contracter en ingérant des aliments de pauvre qualité nutritionnelle (voire du poison) peut très vite faire adopter un régime très restrictif de type orthorexique. De nombreux orthorexiques donneront de prime abord l’impression qu’ils sont hypochondriaques.
Mon témoin B a éliminé de nombreux aliments nocifs de son alimentation car il développe des maladies auto-immunes depuis quelques années. Sa peur panique de la maladie en général n’est pas apaisée par les régimes qu’il a adoptés et ses maladies auto-immunes se développent ou évoluent malgré tout. Lors de notre discussion, il apparaît que le témoin a vu plusieurs membres de sa famille souffrir de maladies graves, rares ou dégénératives. L’orthorexie de ce témoin tient plus de la conjuration du sort mais les exclusions adoptées n’ont pas porté leurs fruits. Il semble aussi penser qu’être malade « c’est de famille » comme si il était malade par fidélité filiale. Il consulte sans cesse de nouveaux spécialistes et passe le plus clair de son temps à parler, anticiper ou souffrir de sa/ses maladies.
Dans son rapport à la guérison il semble que le bénéfice secondaire à être régulièrement « malade » est encore trop important pour qu’il ne choisisse de guérir. Il reste malade et sa maladie est d’autant plus visible qu’elle est la justification d’un régime alimentaire qui ne passe pas inaperçu et ne cesse d’évoluer.
Patient-témoin C : trouble du comportement alimentaire(TCA)
Comme suggéré par Bratman, l’orthorexie est parfois un réel trouble du comportement alimentaire au même titre que la boulimie ou l’anorexie. Il considère d’ailleurs que suivre un régime constitue un facteur risque de l’orthorexie. Un boulimique au régime ou un anorexique repenti pourraient facilement se fourvoyer au pays de l’orthorexie et constitueraient des victimes faciles des injonctions qui y sont légion, car le manger-juste évite toute culpabilité et peut être vécu comme une « purge ».
Mon témoin C a un comportement alimentaire très restrictif (végétarien, sans sucre et période de jeûnes complets) porté par une famille où certains aliments ont été diabolisés dès son enfance et désormais ancrés en croyances. Sa façon de s’alimenter s’apparente à celle d’un anorexique à quelques exceptions près. Elle est d’ailleurs très mince mais ne le voit pas, même si elle admet qu’on lui a déjà dit qu’elle devenait maigre. Elle ne renie pas non plus la cigarette, connue pour être un coupe-faim efficace.
Patient-Témoin D : le contrôlant anxieux
Mon témoin D a un comportement alimentaire excessif depuis plus de vingt ans, mais son besoin de contrôler toujours plus se traduit par un rétrécissement toujours plus important du champ des possibles alimentaires. A la recherche d’un cadre très précis et d’injonctions à suivre (elle participe à des formations, fait des expériences de jeûnes et suit des gourous de tous genres) on sent derrière, une anxiété très grande. Son régime se limite aux légumes, légumineuses et céréales. Les restaurants ont été bannis depuis longtemps.
Pour elle, il s’agit donc d’une conversion délibérée du contrôle de la chaîne alimentaire à un autocontrôle individuel drastique de son ancrage dans la chaîne alimentaire. En contrôlant essentiellement ce qu’elle mange, elle pense maîtriser ce qu’elle est.
Lors de notre entretien elle a admis qu’il y aurait peut être des étapes supplémentaires à ce régime, car elle avait des symptômes nouveaux (glaires et écoulements dans la sphère ORL fréquents) qui faisant penser qu’il lui faudrait éliminer le soja et les légumes de couleur blanche ! Un manque d’autonomie et besoin de prise en charge par les autres sont ressortis de cet entretien ainsi qu’un aveuglement fort tel et un rapport perturbé à l’alimentation « plaisir ».
Patient-témoin E : Le religieux
On ne peut nier le caractère parfois « expiatoire » dans la pratique extrême du véganisme ou autres régimes très contraignants où l’expérience est purifiante. En effet les orthorexique sont les premiers à pratiquer des jeûnes réguliers, le jeûne étant avant tout une expérience religieuse, ou mystique. L’Institut Danone indique : « De la même façon que le religieux doit se purifier par la prière, l’orthorexique doit purger son corps par une alimentation totalement contrôlée ». Les orthorexiques développent un sentiment de supériorité face à ceux qui, selon eux, continuent de vivre des vies jugés malsaines. Le contrôle qu’ils s’assignent touche toutes les dimensions de leur vie (affective, personnelle, sociale, etc.) et cette maîtrise leur laisse croire qu’ils sont supérieurs, voire éternels.
« Pour les orthorexiques, fiers et convaincus de la justesse de leur morale diététique, manger avec le reste du monde devient de plus en plus difficile et complexe. Si l’on ne partage plus le même « Dieu », ni les mêmes convictions, pourquoi manger à la même table et surtout comment partager cette nourriture “saine” aux yeux des uns et “malsaine” aux yeux des autres »[3] .
Cette façon de penser était plus ou moins présente chez tous mes témoins, mais plus spécifiquement le témoin E, bien que son discours ait été inconsciemment moralisateur et hygiéniste.
La discipline de fer qui caractérise le comportement orthorexique cautionne une image idéalisée de soi. Manquer à son régime doit entraîner des châtiments, ou à tout le moins une forme d’expiation.
A ce stade mes recherches ne m’ont pas permis de trancher complètement sur l’orthorexie. Artefact médiatique ou véritable trouble alimentaire ? Je penche à penser que l’artefact médiatique a créé un nouveau type de comportement alimentaire excessif mais contrairement à l’obésité ou l’anorexie, l’orthorexique est rarement en danger du point de vue de sa santé, a fortiori en danger de mort. Il est beaucoup plus à la recherche de rituels rassurants. Ce n’est pas à mon avis un TCA au sens strict du terme – même s’il emprunte à l’anorexie nombre de ses caractéristiques – ni un TOC, car l’existence de rituels n’est pas obligatoire.
[2] http://institutdanone.org/objectif-nutrition/comment-se-nourrissent-nos-adolescents-2/comment-se-nourrissent-nos-adolescents/
[1] [3] https://www.ca-se-saurait.fr/2013/08/23/orthorexie-et-compagnie/